ZOMBIES

Couvert d'humus et de sang coagulé, Zombies débarque d'un pas lourd et pataud avec son cortège d'effets spéciaux grand guignolesques, des grosses ficelles scénaristiques et d'humour à découper à la tronçonneuse. Et... c'est excellent ! Petite dissection à vif d'un jeu malin et sans complexes qui exhume avec délectation les ressources méconnues de la série Z.

Sur un air de Roméro
Le monde : c'est le nôtre, mais en 2010, un futur suffisament proche pour n'intégrer aucune avancée technologique marquante - et rester ainsi dans un environnement contemporain - et, en même temps suffisamment lointain pour autoriser des délires prospectifs les plus saignants  concernant la géopolitique mondiale (l'ex-URSS nucléarisé se terre dans des villes souterraines, l'Afrique retourne au tribalisme, l'Europe fédérale succombe au chant des sirènes du totalitarisme et l'Australie en profite pour devenir la première puissance mondiale ; vous voyez le tableau).

Le problème : la Mort fait grève depuis dix ans, c'est le souk au royaume des morts et les zombies sortent de leur cercueil pour déferler comme des lemmings sur les gentilles petites bourgades campagnardes, inconscientes du danger qui les menace. le gouvernement est au courant, bien sûr, mais il met les poucettes au médias pour qu'ils étouffent l'affaire. Et l'armée se charge de nettoyer les débordements inévitables, comme on essuie la bave aux commissures des lèvres d'un mourant. L'athmosphère : celle des films de morts-vivants et autres nanards gore dans lesquels des braves gens qui n'ont rien demandé se font pourchasser jusqu'au générique par des hordes de revenants putrides, têtus, assoifés de sang et de cervelle et bêtes à bouffer du foin.

Un humour qui sent la crypte.
Ce qui frappe immédiatement à la lecture de Zombies, c'est la qualité de l'écriture. L'aisance du style, l'omniprésence d'un humour un peu potache et joyeusement premier degré, rendent le jeu facile d'accès et très agréable à découvrir. Quelques micro-nouvelles émaillent le texte, comme autant de petits bijoux d'humour noir. Les règles ne sont  pas en reste et la liste des compétences à elle seule, témoigne que, il ne tombe jamais dans le travers de se prendre au sérieux. Jusqu'aux citations et autres extraits de dialogues débiles qui parodient gentiment la manie des citations goths d'un certain jeu du Loup Blanc, hé ! hé !... Bref, tout ça participe d'un excellent esprit.

Une gueule un rien cabossée
Le test ayant été réalisé à partir d'une pré-version du jeu, il est difficile d'en juger la présentation de façon définitive ; d'après ce que nous avons pu voir de la maquette et des illustrations, cependant, il faut bien convenir que, malgré des efforts louables vers la bichromie, Zombies fait un peu "amateur". Rien de catastrophique, attention ! C'est juste que, dans un jeu qui s'inspire d'une manne cinématographique aussi riche, on aurait aimé voir des photos des chefs-d'¦uvres impérissables comme La Nuit des Morts-vivants ou Une Nuit en Enfer. Enfin, le plus beau zombie du monde ne peut donner que ce qu'il a.

Un squelette solide et bien charpenté.
Zombies s'appuie sur une bonne architecture des chapitres, classique et sans omission. le débutant n'a pas été oublié, et la plongée dans le système de règles s'effectue en douceur. Dès la version de base, le jeu fournit un matériel complet : la présentation complète du monde, continent par continent, avec deux chronologie parallèles (une "histoirque" et une "occulte" à ne pas mettre dans les mains de joueurs), la présentation de trois grandes religions (le catholicisme, en sérieuse perte de vitesse, l'islam, et - comme juste - le vaudou), un système simple et intuitif (qui dérive en droite ligne du fameux basic Roleplaying System, c'est vrai, dans le fond, à quoi bon se compliquer la vie ?), une simulation évolutive où la complexité est en optio, un gros chapitre à l'intention du maître détaillant tous les secrets du jeu, un bestiaire et un scénario d'introduction. Ouf ! Seul regret, le scénario d'introduction est un peu faible, et curieusement en décalage avec le monde tel qu'il est décrit ; on lui préférera la demi-douzaine de synopsis proposés à titre d'exemples, qui, eux, sont tout à fait réjouissants.

Une viande juteuse, faisandée à souhait
Dans un jeu de rôles, rien n'est plus révélateur et plus significatif que les personnages qu'on vous propose d'incarner. Dans Zombies, il s'agit de M. Tout-le-Monde précipités dans des aventures qui les dépassent. La création de personnages, simplifiée au possibke, autorise quatre tranches d'âges (enfants, ados, adultes et vieux - les plus coriaces !), toutes les classes sociales imaginables et la plupart des éthnies auxquelles vous pourriez penser. Le choix des compétences et de l'équipement de chacun en fonction de sa tranche d'âge ou de sa profession, avec quelques perles (comme la compétence McGyver, qui permet de fabriquer un peu tout et n'importe quoi avec avec un rouleau de Scotch, trois citron et un couteau suisse, ou la compétence jeopardy, qui permet aux petits vieux de répondre aux questions du célèbre jeu télévisé). un système d'avantages/désavantages (pardon de "marques du destin") autorise encore quelques variations mais, dans l'ensemble, la création de personnage est rapide est rapide et ne s'embarrasse pas de détails. Elle encourage ainsi la formation de groupes contrastés où cohabitent les personnages les plus improbables. De toute
façon, il y a toutes les chances que ces personnages finissent tôt ou tard par devenir des zombies, alors...

Ne tirez pas sur le zombie
Car c'est l'une des autres surprises du jeu : il est tout à fait possible d'y incarner un zombie... A la mort de votre personnage, un système de conversion très simple vous permet en effet de continuer à l'interpréter en tant que revenant. Ses caractéristiques vont bien diminuer un peu, ses membres vont commencer à partir en lambeaux et il ne va pas sentir la rose, mais qui n'a pas ses petits soucis ?
Il faut comprendre que, dans Zombies, les morts-vivants se répartissent en deux catégories : les "classiques", bêtes et brutaux, qui chassent le petit scout dans la forêt en titubant, et les autres, dotés d'une intelligence tout à fait normale... et d'un sérieux problème existentiel ! Zombies ne s'est pas, et c'est heureux, limité au zombie traditionnel qui émerge de son tombeau en état de putréfaction avancée. Selon les circonstances de sa mort, votre personnage pourra, par exemple, dans la peau d'un zombie âme en peine - qui s'incarne dans un cadavre d'emprunt pour se venger ; vous avez dit The Crow ? - , ou encore dans celle d'un zombie nucléaire, dont la seule présence suffit à irradier ses petits copains. Un vrai bonheur...

Le syndrome de Frankenstein

L'univers de Zombies joue sur trois registres différents : une athmosphère de films de série Z où un surnaturel sous-jacent fait brutalement irruption dans un  quotidien autrement sans histoire ; un monde profondément boulversé par la grève de la Mort et le déferlement de zombies qui s'ensuit ; et enfin, la projection dans un futur proche où les cartes sont intégralement redistribuées à l'échelle planétaire. Le rapprochement de ces trois éléments distincts aurait suffit, à lui seul, à faire l'originalité de ce jeu.
Malheureusement, il lui apporte également une dimension hétéroclite qui n'en facilite pas toujours la compréhension. On saisit mal, par exemple, comment le gouvernement parvient depuis dix ans à cacher l'existence des zombies au grand public dans les pays industrialisés, alors que les morts-vivants pullulent en ex-URSS et autres régions paumées et qu'ils viennent faire leurs courses jusqu'au abords des grandes villes, dans les quartiers pauvres abandonnés par la police.
Mais que cette légère réserve ne refroidisse pas votre curiosité ! Zombies est un jeu qui brasse une foule de bonnes idées, et si la mayonnaise manque encore de liant, eh bien, ce sera au maître de jeu de la faire prendre ! Au moins dispose-t'il de tous les éléments pour y parvenir.

Un jeu pour draîner du sang neuf...
Ayant manifestement assimilé le vieil adage selon lequel il vaut mieux partir du cliché que d'y arriver, Zombies s'est inspiré d'un système de règles bien connu, familier aux anciens joueurs et intuitifs pour les nouveaux, ainsi que sur une athmosphère caricaturale, savant mélange d'inventions et de références cinématographiques. le résultat : un jeu sans prétentions, bourré d'humour et de clin d'oeil, immédiatement accessible au débutant - une qualité rare, qui devrait faire pardonner quelques faiblesses de jeunesse sans gravité.

Casus Belli N° 4 - Octobre / Novembre 2000